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Conflit entre conditions générales de vente et d’achat : maîtriser le risque de neutralisation contractuelle

Affaires - Sociétés, Commercial
17/11/2025

Dans la vie des affaires, la rapidité des échanges commerciaux conduit souvent à une situation paradoxale : les contrats se forment par un simple échange de documents standardisés, sans véritable négociation préalable. Le fournisseur communique ses Conditions Générales de Vente (CGV), tandis que l’acheteur répond par un bon de commande auquel sont annexées ses propres Conditions Générales d’Achat (CGA).

C’est ici que naît ce que les juristes appellent la « bataille des conditions générales ». Lorsque ces documents comportent des dispositions contradictoires, ce qui est fréquent en pratique, l’entreprise s’expose à un risque juridique majeur : la neutralisation pure et simple de ses clauses les plus protectrices.


Le mécanisme de l'article 1119 du Code civil

Depuis la réforme du droit des contrats, le législateur français a tranché la question des conflits entre conditions générales. L’article 1119 du Code civil dispose qu'en cas de discordance entre des conditions générales invoquées par l'une et l'autre des parties, les clauses incompatibles sont sans effet.

Concrètement, cela signifie que le contrat est bien conclu, mais qu'il est amputé de toutes les dispositions sur lesquelles les parties ne se sont pas accordées. Le juge ne cherche pas à faire prévaloir le document de l'un sur l'autre. Il écarte simplement les deux clauses contradictoires.

Cette sanction, qui semble équitable en apparence, peut avoir des conséquences désastreuses pour la sécurité juridique de votre entreprise. En effet, la suppression de vos clauses spécifiques entraîne un retour immédiat au droit commun.

Les conséquences opérationnelles de la neutralisation

Lorsque vos clauses sont neutralisées, le vide juridique laissé dans le contrat est comblé par les règles supplétives du Code civil ou du Code de commerce. Or, ces règles générales ne sont pas conçues pour protéger vos intérêts spécifiques.

Imaginez que vos CGV prévoient un plafonnement de responsabilité ou une exclusion des dommages indirects. Si les CGA de votre partenaire imposent une responsabilité totale, les deux clauses s'annulent. En cas de litige, votre limitation de responsabilité disparaît, vous exposant à une indemnisation intégrale du préjudice subi par le cocontractant.

Le même risque pèse sur d'autres éléments vitaux de la relation commerciale :

  • Les pénalités de retard ;
  • Les délais de paiement ;
  • Les clauses de garantie ;
  • Les clauses attributives de compétence territoriale.

Sécuriser la relation par la hiérarchie contractuelle

Pour éviter cet écueil, il est impératif de ne pas se reposer uniquement sur l'envoi de vos conditions générales. La sécurisation de vos relations d'affaires passe par une anticipation rédactionnelle en amont du litige.

La méthode la plus efficace consiste à définir un ordre de priorité clair. Il est recommandé de rédiger un contrat-cadre ou un devis détaillé qui stipule expressément sa prévalence sur tout autre document contradictoire, y compris les conditions générales d'achat du client. La signature d'un document unique par les deux parties, scellant leur accord sur les points sensibles, reste la protection la plus robuste.

Par ailleurs, l'insertion d'une clause de cohérence documentaire dans vos bons de commande permet de figer le périmètre contractuel. Enfin, il convient d'être vigilant sur la forme : évitez absolument les renvois vers des documents externes non datés ou inaccessibles (comme un simple lien internet susceptible de changer), qui pourraient être jugés inopposables.

Une gestion contractuelle rigoureuse ne doit pas être vue comme un frein au commerce, mais comme un investissement nécessaire. En clarifiant la hiérarchie des normes dès le début de la relation, vous limitez drastiquement le risque de contentieux et assurez une lecture cohérente de vos engagements.