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Validité du cautionnement conjoint : quand la disproportion de l'engagement d'un époux ne protège pas les biens communs

Civil - Bien et patrimoine, Personnes et familles
19/11/2025

La protection du patrimoine familial est une préoccupation majeure pour les entrepreneurs et les particuliers qui se portent garants d'une dette. Cette question devient encore plus complexe lorsque deux époux mariés sous le régime de la communauté décident de s'engager ensemble. Une décision très récente de la Cour de cassation vient de préciser les règles applicables dans ce domaine sensible.

Dans un arrêt marquant rendu le 5 novembre 2025, la Haute Juridiction a apporté un éclairage crucial sur le sort des biens communs lorsque l'un des époux cautionne une dette de manière disproportionnée par rapport à ses capacités financières.

Le contexte de l'engagement solidaire des époux

Pour comprendre la portée de cette décision, il faut rappeler le fonctionnement du régime de la communauté légale. En principe, lorsqu'un époux se porte caution seul, il n'engage que ses biens propres et ses revenus. Pour engager les biens communs (comme la maison familiale ou les comptes joints), l'accord exprès du conjoint est nécessaire.

Dans l'affaire qui nous occupe, la situation était particulière. Deux époux, mariés sous le régime de la communauté, se sont portés cautions solidaires d'une même dette au travers d'un acte unique. Cependant, il s'est avéré par la suite que l'engagement de l'un des conjoints était manifestement disproportionné à ses biens et revenus personnels au moment de la signature.

La disproportion entraîne-t-elle la nullité de l'acte ?

Les époux ont tenté de faire valoir en justice que cette disproportion devait entraîner l'annulation totale de l'acte de cautionnement. Leur objectif était clair : rendre l'acte juridiquement inexistant pour protéger leur patrimoine contre les créanciers.

Cependant, les juges n'ont pas suivi ce raisonnement. La Cour de cassation, dans sa décision du 5 novembre 2025, a tranché fermement. Elle a jugé que l'acte de cautionnement n'est pas nul, même si l'engagement de l'un des époux est disproportionné.

Cette distinction juridique est fondamentale. La disproportion peut, dans certains cas, empêcher le créancier de se retourner contre la personne qui n'a pas les moyens de payer (on parle alors d'inopposabilité). Mais elle ne fait pas disparaître le contrat lui-même. L'acte reste valable juridiquement.

Les conséquences lourdes sur la masse commune

La conséquence directe de cet arrêt est particulièrement sévère pour le couple. Puisque l'acte de cautionnement n'est pas annulé et que les deux époux se sont engagés dans le même acte, le créancier conserve ses droits.

La Cour confirme ainsi la saisissabilité de la masse commune. En d'autres termes, la banque ou le créancier professionnel peut légitimement saisir les biens appartenant à la communauté pour recouvrer sa créance. Le fait que l'un des époux se soit engagé au-delà de ses capacités ne suffit pas à "immuniser" les biens du couple lorsque l'engagement a été souscrit conjointement.

Une vigilance accrue est nécessaire

Cette jurisprudence du 5 novembre 2025 rappelle aux dirigeants et aux conjoints l'importance de bien évaluer les risques avant de signer. Souvent, les époux pensent que signer ensemble est une simple formalité administrative demandée par la banque. En réalité, c'est un acte lourd de conséquences qui verrouille la possibilité de protéger le patrimoine familial, même en cas d'erreur d'appréciation sur la solvabilité de l'un d'entre eux.

Il est donc essentiel de retenir que la signature conjointe étend le gage du créancier à l'ensemble des biens communs, et que la disproportion financière de l'un ne suffit pas à invalider l'acte global.

En conclusion, cet arrêt vient renforcer la sécurité juridique des créanciers au détriment de la protection du patrimoine des cautions mariées. Si vous envisagez de vous porter caution solidaire avec votre conjoint, ou si vous faites face à une demande d'exécution d'un cautionnement ancien, il est impératif de faire analyser la validité de l'acte et la proportionnalité des engagements. Chaque dossier présente des spécificités qui peuvent permettre de contester la saisie de certains biens.