Retour aux articles

>Démission inopinée du Commissaire aux comptes : la vigilance sanctionnée par le juge et la Haute Autorité de l’Audit

Travail et social - Travail et social
17/11/2025

Démission inopinée du Commissaire aux comptes : la vigilance sanctionnée par le juge et la Haute Autorité de l’Audit

La stabilité du mandat du Commissaire aux comptes (CAC) est un pilier de la sécurité financière des entreprises. Une décision récente de la Commission des sanctions de la Haute Autorité de l’Audit (H2A), en date du 4 avril 2025, vient rappeler avec force que ce professionnel du chiffre ne peut se démettre de ses fonctions à la légère. Cette affaire met également en lumière le rôle actif du Comité Social et Économique (CSE) dans le contrôle de la régularité de cette procédure.

Le CSE, acteur légitime pour contester la démission

L'apport majeur de cette affaire réside dans la capacité d'action des représentants du personnel. En l'espèce, un CSE central, estimant injustifiée la démission du Commissaire aux comptes de sa société, a assigné ce dernier devant le Tribunal de commerce de Paris.

Les juges consulaires, dans un jugement du 18 janvier 2022 devenu irrévocable, ont validé cette démarche. Ils ont confirmé que le CSE avait qualité pour agir et demander réparation. Le tribunal a reconnu que la démission sans motif légitime constituait une faute délictuelle causant un préjudice au CSE. En conséquence, le cabinet d'audit a été condamné à verser 15 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral. Cela démontre que le départ d'un auditeur n'est pas un acte anodin et que les instances représentatives du personnel peuvent en demander compte en justice.

L'exigence stricte du motif légitime

Le Code de commerce et le Code de déontologie de la profession encadrent strictement la démission. Le principe est que le CAC exerce sa mission jusqu'à son terme (six exercices). La démission reste une exception qui doit être justifiée par un motif légitime, tel qu'un motif personnel impérieux ou des difficultés insurmontables.

Dans cette affaire, l'auditeur invoquait des difficultés rencontrées dans l'accomplissement de sa mission. Cependant, la jurisprudence et la H2A adoptent une lecture restrictive de cet argument. Pour être recevable, il ne suffit pas que la mission soit complexe. Il faut démontrer l'existence de « difficultés irrémédiables ».

Comme le souligne la décision, il appartenait au cabinet d'apporter la preuve qu'il avait tenté de résoudre les problèmes rencontrés. Or, aucune trace de recherche de solution ou d'investigation technique n'a été produite. Le simple fait de citer l'article 28 du Code de déontologie ne suffit pas à justifier une rupture de mandat.

Une lourde sanction disciplinaire du régulateur

Au-delà de la condamnation civile, le volet disciplinaire de cette affaire est particulièrement sévère. La H2A a prononcé une sanction pécuniaire de 100 000 euros à l'encontre de la société de commissariat aux comptes.

Le régulateur a reproché au professionnel de ne pas avoir explicité les motifs précis de sa démission auprès du Haut Conseil du commissariat aux comptes (devenu H2A). Le commissaire aux comptes a l'obligation de transparence envers son autorité de tutelle. Se contenter d'une référence générique aux textes sans fournir d'éléments factuels empêche le régulateur d'exercer son contrôle sur la légitimité de la démission. Cette opacité constitue un manquement grave aux obligations professionnelles prévues par les articles L. 821-44 (anciennement L. 823-3) du Code de commerce.

En conclusion, cette jurisprudence et cette décision administrative envoient un signal clair aux professionnels du chiffre et aux entreprises. Le mandat de Commissaire aux comptes n'est pas un contrat classique dont on peut se délier par simple convenance. L'auditeur doit documenter, justifier et prouver l'impossibilité d'exercer sa mission avant de démissionner. À défaut, il s'expose non seulement à des sanctions financières lourdes de la part du régulateur, mais aussi à des poursuites judiciaires initiées par un CSE vigilant quant à la transparence financière de l'entreprise.