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Laure de La Raudière, député : « À travers cette mission d’information sur la blockchain, je voudrais donner un signal fort aux start-up pour leur assurer une sécurité juridique »

Tech&droit - Blockchain
22/02/2018
L'Assemblée nationale a lancé, le 14 février dernier, une mission d'information sur la blockchain. Une semaine après d'âpres auditions au Sénat sur cette même technologie. Retour avec Laure de La Raudière, co-rapporteur de ces travaux, sur les enjeux et les objectifs de cette mission. 
Actualités du droit : Cette mission a été constituée à votre initiative, est-ce bien cela ?
Laure de La Raudière : Après la révolution d’internet et celle de l’intelligence artificielle, arrive maintenant la révolution de la blockchain. Pour l’instant, il est encore difficile d’imaginer toutes ses potentialités et ses effets. Depuis que j’ai été réélue, j’ai souhaité que l’Assemblée nationale s’empare de ce sujet pour que l’on comprenne à la fois comment cette technologie fonctionne, quelles sont les incidences pour tous les secteurs et comment la France peut prendre le leardership.
 
Nous avons aussi la responsabilité politique de savoir quelles vont être les transformations sociétales induites (emploi, formation). Sans en occulter les côtés négatifs, il serait dommage de refuser d’avoir recours à cette technologie et finalement de se la faire imposer par le biais de services Américains ou Chinois, un peu comme on le vit aujourd’hui sur Internet.
 
ADD : Pouvez-vous préciser ce qu’est un rapport d’information ?
Une quinzaine de députés va se retrouver pour réfléchir aux usages de la blockchain. Des auditions seront organisées pour entendre les personnes compétentes sur ce sujet. 

Cela débouchera sur la rédaction d’un rapport qui comportera des recommandations, à teneur ou non législative.
 
Composition de cette mission d’information
- Julien Aubert, député LR et Commission des finances en est le président.
- Jean-Michel Mis, député LREM et commission des Lois est co-rapporteur, avec Laure de La Raudière, issue de la Commission des affaires économiques.
- 4 députés de la Commission des affaires économiques (Eric Bothorel – LREM ; Christine Hennion – LREM ; Barbara Bessot Ballot – LREM ; Jérome Nury – LR) ;
- 6 députés de la Commission des lois (Ugo Bernalicis – FI ; Typhanie Degois – LREM ; Coralie Dubost – LREM ; Paula Forteza – LREM ; Philippe Latombe – LREM ; Raphaël Schellenberger – LR) ;
- 3 députés de la Commission des finances (Jean-René Cazeneuve – LREM ; Michel Lauzzana – LREM et Pierre Person – LREM).
 
ADD : Vous avez déjà déposé plusieurs amendements pour faire avancer les réflexions sur la blockchain. Sans succès. Comment expliquez-vous ces réticences ?
Pas sans succès. Le premier amendement c’était dans la loi Sapin II, il y a maintenant plus d’un an. Je l’avais alors retiré au bénéfice de l’amendement qui avait été déposé au dernier moment par le gouvernement et qui a conduit à autoriser les échanges de titres de sociétés non cotées, en utilisant donc une blockchain

En réalité, à chaque fois que j’ai déposé un amendement qui touchait au Code civil, il a été retoqué. Aujourd’hui, je pense que la Chancellerie n’a pas encore une réelle volonté d’expérimenter l’usage de la blockchain.
 
Pourtant, l’usage de la blockchain peut impacter les professions juridiques. Il est fort probable que nous recommandions des expérimentations sur l’usage de la blockchain dans le domaine administratif et juridique.
 
ADD : La dernière audition au Sénat sur la blockchain a révélé beaucoup d’incompréhensions. Pensez-vous pouvoir améliorer la compréhension de cette technologie ?
C’est l’un des objectifs de cette mission (au sujet des dernières auditions au Sénat, v. Auditions au Sénat sur la blockchain : les incompréhensions demeurent, Actualités du droit, 7 févr. 2018). Pour éviter de mal légiférer, il faut comprendre. Je me suis toujours inscrite dans cette démarche de pédagogie sur les technologies, en m’attachant à souligner les conséquences par ricochet de l’interdiction d’une technologie. 
Par exemple, à l’époque du débat d’HADOPI, des amendements visaient à interdire la technologie du pair-à-pair ; cela révélait une totale incompréhension du fait qu’une technologie peut servir à réaliser des choses illégales mais également à accomplir des choses extrêmement positives. La plupart du temps, ce n’est pas la technologie qu’il faut bannir, mais la façon dont elle est utilisée.
 
La pédagogie peut permettre d’éviter que l’on ait des dispositions législatives qui viendraient handicaper les bons usages de cette technologie en France.
 
ADD : Pour vous, quels sont les usages les plus intéressants pour la blockchain ?
C’est une technologie qui va permettre de réaliser des gains de productivité en logistique, d’apporter une plus grande transparence et d’améliorer la fiabilité dans les processus de certification, la traçabilité des aliments, etc. Dans beaucoup de domaines, cette technologie est à promouvoir (logistique, agroalimentaire, santé, énergie, éducation, etc.) en réalité, tout ce qui a besoin d’être certifié d’étape en étape).
 
On est donc loin de d’un usage exclusivement réservé aux cryptomonnaies. Et c’est ce que nous souhaitons aussi montrer par le biais de cette mission d’information.
 
ADD : Quels sont les principaux enjeux que soulève cette technologie ?
Il y a des enjeux de souveraineté important. Quand vous avez un service qui s’appuie sur une blockchain publique du type bitcoin, cette blockchain fonctionne avec des mineurs qui valident les transactions. Or aujourd’hui, la plupart de ces mineurs sont en Chine. 

On a un enjeu économique, aussi. Si les usages de la blockchain se développent en France à partir de sociétés de service étrangères, cela signifie que l’on ne va pas créer de la richesse en France, mais ailleurs. Et si on interdit la blockchain en France, on risque de retirer une capacité de gain de productivité à nos entreprises, qui leur fera nécessairement perdre des parts de marchés.
 
Il y a aussi des enjeux sociétaux, également, parce que cette technologie aura pour effet de transformer des professions ou de supprimer certaines fonctions.
 
ADD : Est-ce que la blockchain pourrait permettre à l’État de gagner en efficacité ?
Oui, sans aucun doute. Prenons l’exemple des cartes grises. Au ministère du Transport, une personne réfléchit actuellement à l’expérimentation de la blockchain pour les cartes grises. La carte grise est un élément d’authentification qui lie une personne à une voiture : on est typiquement dans un cas d’usage de la blockchain

Le cadastre, les actes administratifs, sont aussi des pistes de cas d’usage.
 
ADD : Allez-vous traiter le sujet des cryptoactifs ?
Une mission d’information va démarrer à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, précisément sur ce sujet des cryptoactifs. Le président de la Commission des finances a en effet préféré faire une mission spécifique. Le rapporteur sera Pierre Person.

En fait, c’est une bonne chose qu’il y ait deux missions séparées : cela permettra peut-être d’éviter certains amalgames.
 
ADD : Quel est le calendrier de cette mission d’information ?
On démarre maintenant et on va travailler pendant 6/7 mois. 

Ce qui est intéressant, c’est que comme cette mission est portée par trois commissions permanentes (Commission de lois, Commission des finances et Commission des affaires économiques), on aura l’occasion de présenter le rapport trois fois et donc de toucher un bon nombre de parlementaires (210 députés en tout).
 
ADD : Est-ce qu’elle pourrait déboucher sur des propositions concrètes ?
Oui. J’aimerais que l’on regarde s’il n’y a pas des dispositions à insérer dans le Code civil sur ce type d’échanges certifiés. Des questions se posent en effet : est-ce que les « registres » visés par la loi intègrent la blockchain ? Il faut voir si l’on propose un article balai, si l’on attend la jurisprudence…
 
À travers cette mission d’information sur la blockchain, je voudrais donner un signal fort aux start-up qui proposent des services via la blockchain pour leur assurer une sécurité juridique.
 
Cette mission permettra donc d’identifier les domaines dans lesquels existe un vide juridique, une zone grise, et de proposer des mesures concrètes pour les combler.
 
Propos recueillis par Gaëlle MARRAUD des GROTTES
Source : Actualités du droit