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Blockchain : POC en vue pour les notaires…

Tech&droit - Blockchain
11/09/2018
Le Conseil supérieur du notariat pourrait franchir dans les prochaines semaines un grand pas vers la blockchain : un proof of concept (POC) est en effet en voie de finalisation. Les explications sur les services que ce projet pourrait offrir.
Après une première phase dans laquelle les notaires se sont attachés à mettre en exergue la distinction entre certification et authenticité (v. Coiffard D., « La blockchain a un sens pour répartir une partie de la confiance en rendant une information infalsifiable mais cette confiance est très en deçà de celle conférée par le notaire », Actualités du droit, 7 mars 2017 ; v. également, 113e Congrès des notaires : Mathieu Fontaine, président de la commission numérique, analyse les évolutions technologiques, Actualités du droit, 2 oct. 2017), une nouvelle étape pourrait bientôt être franchie par le Conseil supérieur du notariat (CSN) avec la finalisation d’un projet fondé sur la technologie blockchain.

« On est en cours de réalisation d’un prototype pour montrer au bureau du CSN à quoi cela ressemblerait », avance ainsi le directeur du numérique et des systèmes d'information du Conseil CSN, Nicolas Tissot. Une petite révolution ? Pas chez les notaires qui ont toujours su appréhender les technologies en avance de phase. Mais un petit big bang chez les professionnels du droit : les notaires seraient la première profession juridique à proposer un service blockchain, ouvert non seulement aux notaires, mais également à d’autres professions.

Le constat d’une double impasse
Le constat de départ était le suivant : aujourd'hui, un notaire peut faire un acte authentique électronique, mais quand il délivre la copie de l’acte, pour qu’elle soit authentique, il doit imprimer l’acte, puis placer un sceau et une signature. Le point de faiblesse vient précisément de la signature numérique : le cachet de signature électronique a une durée de vie limitée : au bout de 2 ans, Adobe Acrobat Reader signale que la signature est valide, mais expirée. Autre crainte soulignée par Nicolas Tissot : l’ordinateur quantique : « on sait également pertinemment que d’ici quelques années (10-15 ans), les ordinateurs quantiques pourront recalculer les clefs de signature et donc il deviendra possible de faire un faux qui ressemble à un vrai ». Des contraintes qui expliqueraient que les notaires n’aient pas réellement popularisé la copie authentique électronique.

Sur la copie exécutoire électronique, « c’est encore pire, pour Nicolas Tissot, puisque, par principe, elle ne peut être qu’unique : or le principe du document électronique unique n’existe pas dans le monde informatique ».

Assurer la pérennité et la circulation de certains actes, en toute sécurité
Concrètement, c’est la fonction registre de la blockchain qui intéresse les notaires. Cette blockchain serait mise en place pour les copies authentiques électroniques et les copies exécutoires électroniques. L’objectif recherché, c’est de tracer des transactions entre plusieurs acteurs. Prenons l’exemple des copies exécutoires : les notaires les délivrent aux banques, qui parfois les transmettent aux huissiers pour les faire exécuter.
 
Or, pour Nicolas Tissot, « le meilleur moyen de pérenniser un document dans le temps et surtout d’en garantir qui est en est le détenteur légitime à un instant « t », c’est d’utiliser une blockchain ». En pratique, « le Conseil supérieur du notariat va monter une blockchain dans laquelle on va enregistrer les empreintes des documents que l’on émet (si demain une personne réalise un faux, il ne pourra pas avoir la même empreinte) et pour la copie exécutoire, on va, en plus, tracer le fait que c’est le notaire À qui a transmis à la banque B la copie exécutoire, qui pourra ensuite la transmettre à l’huissier C ». C’est donc un moyen de tracer la légitimité de la détention d’un fichier électronique et d’en garantir l’intégrité.

La sécurité recherchée n’est pour l’instant que technologique. Juridiquement, en effet, ce type de preuve ne sera sans doute toute pas reconnue devant un juge, faute d’encadrement législatif de la blockchain. Un décret attendu initialement pour juillet dernier (décret d’application de l’ordonnance n° 2017-1674, 8 déc. 2017, art. 2, relative au dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) et transmission titres financiers), finalement promis pour cet automne, devait poser les premiers jalons dès cet été. Mais la situation pourrait cependant évoluer. Le rapport de France stratégie de juin dernier (France stratégie, Les enjeux des blockchains, 21 juin 2018) soulignait ainsi qu’ « À court terme, il est possible d’adopter une réforme visant à renforcer, dans le Code civil, la force probante des informations figurant sur une blockchain selon des modalités techniques à préciser ». « Ce sera le sens de mon travail à la commission des lois de l’Assemblée nationale, sur cette question de droit des obligations de la force probante des informations sur les distributed ledger technology (DLT) » avait alors indiqué Jean-Michel MIS l’un des députés en pointe sur la blockchain.

Une blockchain partagée entre trois professions
Ce premier proof of concept (POC), élaboré avec une start-up de Station F, Belem, sera ouvert à trois types d’acteurs : les banquiers, les huissiers et, bien sûr, les notaires.

Même si le CSN a approché les services de l’État pour discuter de solutions blockchain, il n’est pas à l’ordre du jour de l’ouvrir aux administrations et à leurs opérateurs. Pas d’autres acteurs à ce stade, donc.

Le protocole choisi
Le CSN pourrait donc opter pour une blockchain de consortium, c’est-à-dire une blockchain hybride qui regrouperait plusieurs acteurs, mais qui ne serait pas publique. Comment fonctionne une telle blockchain ? En synthèse, le protocole peut être modifiable par ses acteurs, selon des règles de gouvernance préalablement établies. Certains nœuds peuvent ainsi être rendus public et d’autres restés privés.

« Le choix, pour l’instant se porte sur la blockchain ethereum, en raison principalement de sa souplesse » précise Nicolas Tissot. C’est la solution choisie pour le démonstrateur, mais « je ne peux pas dire quelle technologie de blockchain sera retenue in fine ».

Parmi les questions qu’il reste à régler, une est centrale : celle de la gouvernance de cette blockchain. « Aujourd’hui, on parle du dispositif technique, mais va rapidement se poser aussi la question de la gouvernance de cette blockchain : demain, il va falloir gérer une blockchain dans laquelle il y aura trois types d’acteurs différents » tient à souligner le directeur du numérique. En pratique, le CSN, qui sera conseillé par un professeur d’Université, aura à répondre à un certain nombre de problématiques pour établir cette gouvernance : comment les droits seront répartis ? Qui a le droit de faire entrer un nouveau nœud dans le dispositif ? Comment sera gouvernée cette blockchain ? Comment fonctionnera le consensus ?, etc.

L’échéancier
La création du POC a été lancée après que les élus du CSN aient voté le principe d’expérimentation d’une telle blockchain, en janvier dernier. Le démonstrateur sera finalisé dans les toutes prochaines semaines avec pour objectif de le montrer au bureau en octobre. Ensuite, restera une phase essentielle : convaincre huissiers et banquiers de l’intérêt de participer à ce projet.

Difficile pour l’heure de savoir quelle sera la phase la plus longue…
Source : Actualités du droit