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PACTE et ICO : l’article 26 est voté !

Tech&droit - Blockchain
01/10/2018
Un premier grand pas. C’est finalement le 28 septembre que l’article 26 a été examiné en séance publique. Un vote qui entend positionner la France comme leader en matière d’initial coin offering (ICO). Des débats qui ont cependant laissé entendre que des ajustements allaient encore avoir lieu d’ici le vote final de la loi PACTE.
Il régnait une certaine solennité à l’heure de l’examen de cet article 26 (pour voir les vidéos de la séance, v. https://youtu.be/piK1pexYtNU et https://youtu.be/BINxfwW7BX0). « Vous avez un ministre des Finances qui est totalement engagé sur ces nouvelles technologies financières » a martelé Bruno Le Maire : « notre objectif est clair : la France doit être le leader européen de la blockchain » prévient-il, convaincu que « la France va être un modèle pour beaucoup de pays européens ». « Une première mondiale et donc d’un grand moment pour notre pays », pour Valéria Faure-Muntian, députée de la Loire (LREM), et pour Laure de La Raudière, députée de l'Eure (UDI), « un cadre réglementaire audacieux, attractif et souple ». « Il faut laisser une chance à ces nouveaux instruments » a, pour sa part, tenu à souligner le président de la commission des finances, Éric Woerth. « Ils représentent aujourd’hui peu de choses en valeur, ils n’ont pas de dimension systémique, mais on voit bien qu’à côté des instruments financiers traditionnels pourrait naître une finance différente. Il ne faudrait pas que la France reste à l’écart de cela ».
 
« Ce qui n’est pas sûr, ce n’est pas la blockchain, c’est la qualité des émetteurs et la qualité des plateformes : c’est sur ces deux points-là que le texte essaye de faire des avancées », a encore expliqué Jean-Noël Barrot, l’un des rapporteurs de ce projet de loi. Avec comme pivot, la recherche d’un point d’équilibre. « Il faut de la liberté technique et de la sécurité juridique. Ce sont pour moi les deux piliers sur lesquels nous devons construire notre modèle » a précisé Bruno Le Maire : « De la liberté technique, parce que je pense qu’il faut laisser les opérateurs faire les propositions techniques qu’ils souhaitent avec le plus de liberté possible. Ce n’est pas à nous, parlementaires ou responsables politiques, de contraindre les solutions techniques qui peuvent être conçues en matière de technologie financière, de blockchain et d’offres de jetons ; c’est aux opérateurs de nous faire des propositions ». Et de la sécurité juridique, pour éclairer les investisseurs et pallier le risque de financement du terrorisme et de détournements de fonds. « Nous avons donc inscrit dans le projet de loi PACTE un minimum de règles législatives – par exemple l’exigence de constitution d’une personne morale de droit français et la mise en place d’un mécanisme de séquestre des fonds récoltés – et nous autorisons l’Autorité des marchés financiers (AMF) à délivrer une validation sous la forme d’une inscription sur une liste blanche. L’inscription sur cette liste est facultative : chacun sera libre de s’y soumettre ou pas ; néanmoins, elle permettra aux clients de savoir avec précision ce qui est sûr et ce qui ne l’est pas. Je pense que c’est la meilleure façon de procéder », a souligné le ministre de l’Économie.
 
Alors que, une nouvelle fois, les débats ont dévié sur l’anonymat (une confusion non réglée avec la pseudonymisation) et la dissociation entre la technologie blockchain et l’une de ses applications, la crypto-économie, Laure de La Raudière s’est une nouvelle fois inscrite en faux : « Je profite de l’occasion pour rappeler qu’on ne saurait opposer une bonne technologie, la blockchain, assez puissante pour certifier des échanges, aux cryptomonnaies, lesquelles seraient dangereuses. Les deux marchent ensemble », a rappelé la députée de l’Eure.
 
Par rapport au texte issu de la commission spéciale (sur l’encadrement proposé par cet article, v. Initial coin offering (ICO) : ce que prévoit le projet de loi PACTE, Actualités du droit, 21 juin 2018 ; sur le texte voté par la commission spéciale, Projet de loi PACTE et ICO : des évolutions importantes à prévoir en séance, Actualités du droit, 26 sept. 2018), plusieurs évolutions sont à relever. Les débats ont, par ailleurs, fait ressortir deux problématiques importantes qui pourraient conduire à des ajustements du texte avant le vote définitif.
 
Ce qui a changé par rapport au texte de la commission spéciale
Techniquement, voici la liste des amendements, pour certains sous-amendés, qui ont été adoptés :
  • amendement n° 1382 (rédactionnel)
  • amendement n° 2475 : précise les modalités de retrait du visa de l’AMF et ses moyens d’action envers les émetteurs de jetons concernés.
  • amendement n° 2480 : étend l’accès au compte introduit en commission spéciale concernant les émetteurs de jetons, aux prestataires qui seront enregistrés à titre obligatoire auprès de l’Autorité des marchés financiers ou agréés de manière optionnelle auprès de cette même Autorité. Il précise que les raisons d’un refus, le cas échéant, sont communiqués à l’Autorité des marchés financiers et à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Et apporte des précisions sur l’assujettissement des émetteurs de jetons aux obligations de lutte contre le blanchiment, en restreignant cet assujettissement au moment de l’émission du jeton et à la transaction avec les souscripteurs de ces jetons sur le marché primaire.
  • amendement n° 1882, sous-amendé par l’amendement n° 2853 : Il ne convient pas de faire une référence aux sanctions qui sont pleinement prévues dans le régime de droit commun de l'accès au compte bancaire. En revanche, il peut être opportun de détailler les voies et délais de recours par voie réglementaire. En outre, il est utile de préciser que les dispositions réglementaires d'application concerneront tout l'article.
  • amendement n° 2728.
  • amendement n° 2492, sous-amendé par l’amendement n° 2863 : ce sous-amendement vise à imposer un avis conforme de l’ACPR sur l’enregistrement des acteurs proposant les services mentionnés au 1° et 2° de l’article L. 549-26 du code monétaire et financier, une supervision de l’ACPR a posteriori sur ces mêmes services et un avis de la Banque de France sur les systèmes d’information des acteurs visés au 2° de l’article L. 549-26. Il clarifie la logique de guichet unique au moment de l’enregistrement.
 
Premier point à relever, l’extension du régime de ce visa au marché secondaire. Comme le souligne Éric Bothorel, député des Côtes-d'Armor (LREM), « C’est l’intégralité du cycle de vie des cryptoactifs que nous devons prendre en compte et tous les intermédiaires qui opèrent sur ce marché », marché primaire comme secondaire, donc. Un député qui, peut-être à la suite de certaines pressions, comme celles de The Bitcoin Foundation (v. Llew Claasen, executive director, The Bitcoin Foundation : « It's important that french lawmakers slow down and better understand the impact of what they are proposing », Actualités du droit 27 sept. 2018), a tenu à mettre en exergue la spécificité du régime français posé à l’article 26 : « l’agrément est facultatif, il ne s’agit donc pas d’une bitlicense à la française mais d’un gage d’attractivité pour quiconque l’obtiendra ».
 
Deuxième point d’évolution, conséquence du premier, le droit au compte est étendu aux prestataires du marché secondaire (v. infra, plus de détails sur ce droit au compte).
 
Troisième nouveauté, le cantonnement des moyens d’action de l’AMF afin d’éviter que les acteurs se détournent d’un cadre devenu trop risqué. Plus précisément, le texte limite désormais la capacité de blocage de l’AMF aux communications faisant état du visa : l’AMF pourra communiquer publiquement sur le retrait de son visa si une personne se prévaut à tort de la délivrance d’un visa ou si une personne continue à se prévaloir d’un visa alors qu’il a été retiré.
 
Last but not least, la création d’un article après l’article 26 (amendement n° 2492) qui instaure un régime relatif aux intermédiaires sur les marchés des « actifs numériques », catégorie qui intègre les cryptoactifs, et transpose les dispositions de la directive (UE) 2015/849 révisée en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme s’agissant de ces mêmes acteurs.

Des avancées saluées par de nombreux députés mais qui, pour certains, laissent un goût un peu amer.

Les points de crispation qui pourraient amener à des évolutions du texte
Deux points, principalement, ont fait converger les crispations : les réflexions autour d’une meilleure information des investisseurs, à travers une proposition d’instauration d’un document annuel de référence, et le droit au compte des émetteurs d’ICO et de tous les prestataires du marché primaire et secondaire.
 
Le document de référence annuel.– Plusieurs députés, de la majorité et de l’opposition, entendaient améliorer l’information des souscripteurs d’ICO par l’instauration d’une document annuel, complément du white paper initial, qui aurait notamment détaillé l’avancée technologique du projet et certaines données financières (amendement n° 2609, de Pierre Person, député de Paris (LREM), Jean-Michel Mis, député de la Loire (LREM), et Éric Bothorel et amendement n° 1708, d’Éric Woerth, notamment). Consultée sur ce point, l’AMF aurait exprimé des réticences quant à la formulation de certaines informations listées dans ces amendements (prix ferme des jetons ou seuil minimal de jetons à vendre, par exemple). Mais pour Éric Woerth, « nous avons besoin de transparence. La régulation, qui en l’espèce serait légère, ne peut pas non plus l’être trop. Nous aurions bien tort de repousser les amendements ».
 
« Sur le principe, nous serions d’accord pour inscrire dans la loi que le document d’information doit préciser certaines caractéristiques minimales de l’émission », a précisé Jean-Noël Barrot, député des Yvelines (Mouvement démocrate), dont le détail serait à régler avec l’AMF chargée d’appliquer ces dispositions. Même ouverture du côté de Bercy : « Cela m’ennuie, a indiqué Bruno Le Maire, d’émettre un avis défavorable, car l’idée est intéressante. Mais puisqu’il existe déjà un white paper – ou liste blanche –, je crains que l’ajout d’un document de référence annuel ne soit trop lourd. Je suggère à M. Woerth que nous travaillions ensemble. Peut-être les indications figurant dans le document annuel pourraient-elles être reprises dans le white paper. Fondre les dispositions prévues par les amendements et celles figurant dans la liste blanche éviterait d’alourdir inutilement la procédure ».
 
Un accès au compte bancaire efficace ?– Si l’article 26 est prévu pour faciliter l’accès aux comptes des prestataires de services en cryptoactifs, certains députés doutent fortement de l’efficacité du dispositif prévu. « Je suis très inquiète : si une banque publique n’a pas l’audace de pouvoir ouvrir un compte pour des entreprises labellisées (…), cela m’inquiète beaucoup pour les autres banques, les banques internationales privées. On est en train de mentir aux entrepreneurs de la blockchain. On ne va pas jusqu’au bout », a insisté à plusieurs reprises Laure de La Raudière, évoquant même le « simili droit au compte de l’article 26 ». La députée proposait de renforcer le cadre normatif contraignant les banques nationales à faciliter l’ouverture de compte aux entrepreneurs dont les projets auraient été labellisés et d’instaurer un recours subsidiaire à la Caisse des dépôts et consignation (CDC) ou à la Banque de France. « On ne peut pas se permettre sur ce sujet de prendre six mois de retard », insistait pour sa part Pierre Person, proposant cette même subsidiarité de la CDC.
 
Manquerait-il un étage à la fusée ? Alors que le gouvernement avait émis un avis défavorable au principe de subsidiarité (« donnons sa chance à ce dispositif », préférait Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l'Économie et des Finances) et que Jean-Noël Barrot proposait la mise en place d’une évaluation du dispositif pour analyser le nombre d’ouvertures de comptes refusées et vérifier les motivations de ces refus, l’amendement n° 2728 a finalement été adopté, un peu par surprise. Il ajoute après l’alinéa 39, l’alinéa suivant : « En cas de difficulté persistante d’accès à des services de dépôts et de paiement dans les établissements de crédit, les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa mentionné à l’article L. 5524 ou les prestataires de services de jetons définis à larticle L. 54926 et ayant obtenu un agrément prévu à larticle L. 54929 ont accès à un service de dépôt et de paiement auprès de la Caisse des dépôts et consignations ». En définitive, la loi PACTE pourrait bien en venir à instaurer un prêteur en dernier ressort qui pourrait ne pas être la CDC : Jean-Noël Barrot a, en effet, admis que pour « la Banque de France, la question se pose : c’est une réflexion qu’il faut que nous ayons ».
 
Prochaines étapes, désormais, le vote solennel du projet de loi PACTE, puis son examen par le Sénat. En parallèle et pour rendre efficient le cadre incitatif proposé, des amendements au projet de loi de finances pour 2019 devraient apporter des précisions on ne peut plus attendues : « Nous avons dans le projet de loi de finances l’introduction d’un régime fiscal et comptable qui va être particulièrement favorable à la blockchain et aux nouvelles technologies financières », a précisé Bruno Le Maire…
Source : Actualités du droit