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Vers une blockchain dédiée à l’éducation, capable de certifier les diplômes comme les droits de propriété intellectuelle ?

Tech&droit - Blockchain
08/04/2019
Et pourquoi pas, demain, une blockchain capable de certifier les droits de propriété intellectuelle des enseignants, des chercheurs et même des étudiants liés à leur identité souveraine, attribuée par l’État de façon pérenne, après une authentification formelle ? C’est en tout cas de ce que propose Perrine de Coëtlogon, chargée de mission blockchain & éducation, ULille, animatrice du groupe GTnum n°8 Blockchain Éducation France de la Direction du numérique pour l’Éducation, ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse*.
La plupart des experts de la blockchain utilisent un vocabulaire difficile à comprendre pour les personnes étrangères à cette nouvelle technologie, qui connaît de nombreux développements depuis l’invention de la cryptomonnaie qui l’a lancée : le bitcoin.
 
Quelques mots et concepts clés dans la technologie de la blockchain
Il est ainsi question de systèmes distribués (peer-to-peer, désintermédiation), de certification (plus communément appelée « notarisation » dans le système juridique anglo-saxon), des registres tenus par des tiers de confiance, de preuves de travail, de jetons, de gouvernance…
 
Après s’être interrogée sur ces sujets, l’auteur du présent article considère que l’engouement suscité par cette technologie est lié à ces mots, qui reflètent certains concepts clés des grandes inventions humaines.
 
Par exemple : l'une des principales inventions humaines est l'écriture. L'écriture a été inventée il y a 5 000 ans pour enregistrer des transactions juridiques. Les registres et les tiers de confiance (rédacteurs autorisés) ont été créés - et existent toujours - pour éviter les litiges, garantir la sécurité juridique et la paix. Il en va de même de la blockchain : chaque serveur connecté possède une copie d’un registre immuable et sécurisé des transactions juridiques réalisées entre deux personnes (distribution). Les blockchains ont été conçues depuis le bitcoin en open source, permettant d’améliorer le code qui la constitue. La technologie blockchain offre aussi à quiconque la transparence nécessaire pour « lire » la chaîne complète des transactions réalisées depuis la première opération (transparence).
 
Un autre exemple : l'invention de la monnaie. La montée des échanges humains était - et est toujours - basée sur la confiance. Le bitcoin a été inventé comme monnaie alternative à la suite de la crise financière de 2008 qui a trahi cette confiance, afin de proposer une monnaie basée sur des décisions prises par des pairs.
 
Dans la technologie des blockchains, les serveurs connectés sont en concurrence pour résoudre un problème mathématique complexe (ils sont « mineurs »). Le système est en mesure de décider quel serveur a réussi et donc de certifier la page web (le bloc) contenant un certain nombre de transactions. La page contenant les transactions entre utilisateurs du réseau est ainsi liée à la page précédente. La technologie blockchain récompense le serveur gagnant pour sa contribution réussie à un travail collaboratif (preuve de travail), par l’émission d’un jeton (cryptomonnaie). Aucune intervention humaine n'est requise. C'est une innovation informatique majeure.
 
Les experts ont identifié trois problèmes essentiels dans les technologies se basant sur des blockchains : la soutenabilité énergétique du système, l'authentification de la connexion et la faculté permettant au citoyen d'effacer les données personnelles qu'il ne souhaiterait plus voir apparaître dans le registre de transactions. De nombreux chercheurs et entreprises travaillent sur ces questions et des solutions alternatives existent déjà.
 
Application de ces principes dans l'éducation

Dans le contexte de l’éducation, ces concepts attrayants et complexes ont conduit à l’identification de la technologie blockchain comme solution innovante pour :

  • créer un registre distribué et ouvert permettant de conserver des enregistrements communs de tous les résultats d'apprentissage (diplômes, compétences, supplément au diplôme, badges ouverts, etc.), en apprentissage initial ou continu, tout au long de la vie ; tout citoyen du monde pourrait trouver une copie certifiée conforme de son diplôme, d’une formation ou d’une compétence, à n'importe quel stade de sa vie ;
  • sur le concept de désintermédiation, habiliter les enseignants à reconnaître et attribuer directement aux apprenants autre chose que le diplôme ; alors que les certificats universitaires peuvent être combinés pour former un diplôme, les open badges peuvent être considérés comme un moyen plus souple de reconnaître les aptitudes et compétences, même acquises en dehors des institutions formelles ; celles-ci sont parfois intitulées : « extra-curriculaires » ;
  • octroyer une identité et une authentification numérique pérennes au personnel de l’éducation et aux étudiants, permettant un accès aux registres évoqués ci-dessus, mais aussi de porter ces preuves de formations ou de les supprimer et enfin d’identifier les contributeurs aux projets « open » évoqués ci-dessous ;
  • récompenser les contributeurs des familles open (open education, open access, open source, open gov) ; la récompenserait les contributeurs par l’émission de « crédits » prenant la forme d’un open badge vérifiable ;
  • tracer les contributions (traductions, mises à jour, enrichissement des ressources éducatives libres) et permettre à terme leur visualisation.

Le « Netflix » des ressources éducatives libres (REL) ?

Le dernier cas d'utilisation a conduit l'auteur de cet article à concevoir une blockchain capable de certifier les droits de propriété intellectuelle des enseignants, des chercheurs et même des étudiants liés à leur identité souveraine, attribuée par l’Etat de façon pérenne, après une authentification formelle. L'idée est de créer une plate-forme mondiale comparable à un « Netflix » dédié aux ressources éducatives libres et soumise à des licences ouvertes.

Il pourrait être testé sur les 30 000 ressources pédagogiques ouvertes en français qui sont documentées, disponibles et accessibles via un moteur de recherche unique.

Tout le monde pourrait l'utiliser gratuitement, avec la possibilité de payer pour des utilisations commerciales, afin d'explorer un modèle durable de REL.

En un sens, la technologie reprendrait les bases d’un logiciel de plagiat, mais en renversant ses codes : son objet serait d’assurer le suivi de l'utilisation et des modifications légales des REL.

Cela permettrait également de visualiser un "arbre généalogique" des utilisations et des modifications d'une ressource, qui grandit avec les années.

Enfin, l’application de la technologie de la blockchain permettrait de reconnaître et de récompenser les contributions au mouvement des REL. Une sorte de badge ouvert/crédit numérique identifiant le contributeur et ses contributions, facile à intégrer et à afficher dans les programmes d’études, et servant de preuve officielle à l’appui des cheminements de carrière.

Les trois initiatives de la Commission européenne pour la blockchain, y compris en matière d’éducation

Sous l’impulsion de la Commission européenne, vingt-six États membres de l'Union européenne, la Norvège et le Lichtenstein ont mis en place un partenariat sur la blockchain. Ce partenariat a permis de retenir 4 cas d’usage, dont celui de la certification des diplômes et des compétences. 2019 devrait être l'année de la mise en place d'un projet global à cet égard.

Dès 2017, le ministère français de l'Éducation nationale et de la Jeunesse (Direction du numérique pour l’éducation) a mis en place un groupe de travail sur la blockchain et l'éducation, porté par l'Université de Lille.

L’un des objectifs de ce groupe de travail est de contribuer au cahier des charges et de tester la blockchain souveraine et durable pour la certification des diplômes ou des compétences. Cette blockchain est en développement au sein de la Direction des systèmes d’information de la Commission européenne (DIGIT).

 
Appel à contributions aux juristes (avant le 26 avril 2019) : conférence Blockchain, Open Education & Digital Citizenship, 28-29 mai 2019 (pré-conférence le 27 mai), Université de Lille (Lilliad Learning Center)
Les 28 et 29 mai 2019 (avec une pré-conférence le 27 mai), cette conférence internationale donnera aux participants une occasion unique d’avoir une compréhension globale et indépendante de l’application de la technologie Blockchain dans l’éducation.
Les sessions plénières comprendront les études des cas d’usage de la Commission européenne, de gouvernements et institutions, ainsi que des parties prenantes. Elles viendront nourrir ainsi les réflexions des gouvernances et des enseignants chercheurs sur ces sujets.
Allez-vous inscrire et participez à l’appel à propositions sur 7 thématiques : diplômes, crédits, compétences/open education-open standards/éducation décentralisée (open badges)/citoyenneté numérique/recherche en informatique/recherche en droit/recherche en politique (gouvernance).
Vous avez jusqu’au 26 avril 2019 !
Renseignements : http://blockchaineducationfrance.fr/
  
* Traduction libre par l’auteur le 8 avril 2019, de la version initiale anglaise publiée sur le blog de l’ICDE le 30 janvier 2019. Avec l’aimable relecture of Eric Bruillard, Paris V Descartes (France), de Rajiv Jhangiani, Kwantlen Polytechnic University (Canada) et d’Hélène Behague (Université de Technologie de Belfort- Montbéliard).
Source : Actualités du droit